Le Concile Vatican II et l’œcuménisme

par Karin Heller*

Le mouvement œcuménique en milieu catholique a été consacré par deux documents conciliaires : le Décret sur l’œcuménisme (Unitatis Redintegratio, 1964) et la Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes (Nostrae Aetate, 1965). Cette consécration est inséparable d’un travail de longue haleine du côté protestant comme du côté catholique en amont du Concile.

L’œcuménisme est d’abord un phénomène protestant. Il voit le jour dans des milieux étudiants anglophones du xixe siècle, choqués par leurs divisions internes, qu’ils voient comme une pierre d’achoppement dans leurs efforts d’évangélisation. En 1948, ces aspirations à l’unité aboutissent à la fondation du Conseil Œcuménique des Églises, aujourd’hui établi à Genève.

Face à cette évolution, le Pape Pie XI, dans l’Encyclique Mortalium Animos du 6 janvier 1928, met sévèrement en garde le monde catholique contre toute participation à des réunions avec des chrétiens non-catholiques. Le retour inconditionnel à la vraie Église du Christ, celle de Rome, et la soumission à son Magistère, sont la seule voie possible vers l’unité. Parmi beaucoup de théologiens catholiques, deux représentants du catholicisme français paient chèrement leur résistance à cette position intransigeante. Pendant plus de dix ans Henri de Lubac et Yves Congar sont mis à l’écart et interdits d’enseignement et de publication. Toutefois, deux autres fondations vont porter le projet œcuménique, envers et contre tout, durant ces temps particulièrement hostiles. L’une est la communauté monastique de Taizé et l’autre le Groupe des Dombes, une association de théologiens catholiques et protestants dont l’Abbé Paul Couturier (1881-1953), de Lyon, est la cheville ouvrière.

Une réception favorable de la cause œcuménique par le Concile était impensable sans une avancée considérable au niveau de la compréhension de la nature de l’Église. À ce sujet deux visions s’opposent avant et pendant le Concile. La première conçoit l’Église comme une forme de chrétienté traditionnelle qui serait sans cesse à retrouver. Cette vision a son origine dans une interprétation rigide et quasi inamovible par la hiérarchie catholique de la volonté du Christ pour son Église. Avec les siècles, l’Église catholique s’est enfermée dans un système d’auto-définition, d’auto-justification et d’auto-glorification qui a conduit à la rupture fracassante entre Catholiques et Protestants au xvie siècle. La seconde vision est exprimée par Congar dans Chrétiens désunis. Principes d’un « œcuménisme » catholique (1937). Pour Congar une vraie Église catholique existe dans l’Église catholique romaine, mais cette catholicité est en cours de développement. Au lieu de postuler un catholicisme pur et dur, Congar parle de divers degrés de catholicité qui peuvent aussi être présents dans des communautés chrétiennes séparées de Rome.

La position de Congar joue un rôle déterminant dans la rédaction de l’article 8 de la Constitution Lumen Gentium. Ce paragraphe stipule que l’unique Église du Christ subsiste (subsistit) dans l’Église catholique, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui. Le terme « subsiste » ne désigne qu’un degré d’identification et évite une identification absolue de l’unique Église du Christ avec l’Église catholique romaine. Du coup, cette dernière reconnaît l’existence de divers traits de catholicité, plus ou moins développés, blessés, incomplets ou intacts dans d’autres communautés ecclésiales. Grâce à cette reconnaissance, l’Église catholique peut réviser sa relation avec les communautés chrétiennes séparées de Rome. Cette avancée a donné à ces communautés un vrai statut, condition préalable à un véritable dialogue où un partenaire n’est plus ipso facto au-dessus de l’autre et l’autre réduit à moins que rien. Elle explique aussi la vitalité parfois étonnante des Églises protestantes depuis quatre siècles, bien gênante pour la hiérarchie catholique. En effet, le fait d’être séparé de Rome n’empêchait pas d’avoir une vie réellement chrétienne authentifiée par des fruits !

Pendant le Concile, six théologiens protestants participèrent aux débats préparatoires, dont Oscar Cullmann et le Fr. Max Thurian de Taizé. Ce fait a contribué plus tard au rejet de Vatican II par la communauté de Mgr. Lefebvre, pour laquelle le Concile avait été infecté par des idées protestantes. Pour les communautés protestantes le Concile a certainement jeté de nouvelles bases pour un dialogue. Le texte postconciliaire jusqu’à ce jour le plus réussi en matière d’œcuménisme reste sans doute le document intitulé « Baptême, Ministère, Eucharistie » (1982), à la rédaction duquel a collaboré activement le Cardinal Walter Kasper.

Malgré ces avancées considérables, le mouvement œcuménique reste actuellement bloqué par ce que l’on peut appeler le travail inachevé de Vatican II. Déjà au moment du Concile, Edmund Schlick, un des six observateurs protestants, critiquait le fossé existant entre une attitude bienveillante et le refus d’une célébration commune de l’Eucharistie. Il en va de même pour l’ambiguïté entretenue entre une Église entendue comme un bloc monolithique et une communion d’Églises. L’œcuménisme vu par Rome reste encore trop centré sur Rome ! Pour beaucoup de Protestants des États-Unis le terme « frères séparés » est ressenti comme une insulte et continue à témoigner de l’arrogance romaine à leur égard. Mais, par dessus tout, le refus catégorique d’accueillir des Protestants à la table eucharistique catholique nourrit un sentiment anticatholique secret ou ouvert. Aujourd’hui, cet anticatholicisme se cristallise aussi autour du refus obstiné de Rome d’admettre les femmes aux ministères ordonnés. La question de l’autorité dans l’Église couplée avec celle de la participation des femmes dans la vie ecclésiale seront sans doute les grands défis à relever dans les décennies et siècles à venir.

* Karin Heller est docteur en théologie de l’université du Latran et docteur en histoire des religions et anthropologie religieuse de Paris-Sorbonne. Elle est professeure de théologie à Whitworth University (Wa. Etats-Unis)

Avoir la vie en son nom, Cerf, 1999
Et couple il les créa, Cerf, 1997

3 Commentaires

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3 réponses à “Le Concile Vatican II et l’œcuménisme

  1. M.F.

    Il est curieux de constater, sauf erreur, que globalement on entend parler plus souvent comme critique négative et caricaturale du « côté catho » d’un(e)e tel(le) et pratiquement jamais du « côté protestant » d’un(e) tel(le) et encore moins de son « côté chrétien » .
    Peut-on en conclure que plus l’ oecuménisme avance plus le christianisme est crédible ?

    • Jean-Pierre

      Il se pourrait en effet que si « chrétien » n’est pas connoté négativement, catho l’est « grave » devenu. Ainsi l’œcuménisme avance, du fait de « laïcs » qui quittent le catholicisme dans leur tête -pour rester chrétien- et cela même s’ils semblent le rester en apparence.
      Comme écrivit Congar en 1954, et combien c’est hélas toujours actuel: « Je sens tous ces jours-ci, avec peine et angoisse, l’abîme qui existe entre le peuple chrétien et les instances hiérarchiques, surtout romaines. Ce n’est pas seulement une distance presque infinie dans la façon de voir les choses, c’est une différence de plans, une hétérogénéité de plans d’existence spirituelle. Rome est étrangère à ces perceptions évangéliques profondes qui sont la grande préoccupation de nos fidèles et d’où part leur protestation. Rome est enfermé dans son droit et sa canonique sophistiquée de casuistique, dans son sentiment de justice inaltérée et son auto-justification. Elle ne peut prendre la réaction laïque actuelle que comme du mauvais esprit et le classer dans la rubrique toute préparée « insubordination »; elle ne peut s’interroger elle-même sur la justesse chrétienne de ses positions ni ressentir la protestation actuelle comme une question grave qui lui est adressée « au nom de l’Évangile ». Dans des textes pieux et pissotant du cardinal Ottaviani, voir des cardinaux Liénard et Gerlier que les journaux publient en ce moment, on ne sent pas la préoccupation dominante de la parole de Dieu. On n’y trouve que l’auto justification de la hiérarchie, entourée de gens pieux, dégoulinant de « bon esprit ». C’est tragique! (Y Congar, chronique, 24 02 1954). »
      Au début des années 50, plus de 80% des français se disait catholique (65% aujourd’hui) et 27% pratiquants réguliers (4% aujourd’hui)! Qu’écrirait Congar aujourd’hui, sans doute comme Martini.

  2. lach-andreae Jacqueline

    L’esprit de charité ne se partage pas, il ne peut se contenter de mots.
    Ou on accueille dans le respect et l’amour nos frères protestants et orthodoxes dans le Christ et bien sûr jusqu’à la « table », ou les mots de rapprochement et de dialogue mentent.

    Il en est de même pour la condition féminine : faire durer avec obstination un refus archaïque de les admettre aux ministères ordonnés dans un monde en pleine évolution qui laisse une juste place à leur créativité et leurs compétences pour le bien commun, c’est faire mentir le message du Christ et l’incarnation.

    Ou bien faudrait-il considérer que l’incarnation ne concerne que les mâles ?

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